Enregistré le: Mar Jan 08, 2008, 11:31 Messages: 340 Localisation: Le sud
Je ne pouvais pas rester insensible aux récits de Mehdi aussi à mon tour de vous raconter une histoire de pêche vécue en Algérie .
Prenez juste le temps de lire et de rêver un peu
« J’ai eu beaucoup de mal à trouver le sommeil cette nuit , la chaleur importante des derniers jours laisse des murs brûlants que la nuit ne parvient pas à refroidir . A la recherche d’un courant d’air je finis par m’endormir sur la terrasse à la belle étoile là ou le carrelage apporte un semblant de fraîcheur . La fin d’un mistral de plusieurs jours laisse présager l’arrivée du beau temps et j’espère enfin pouvoir sortir au large . L’arrivée sur le port au lever du jour est toujours magique , les odeurs et le bruit m’arrivent en pleine figure et j’ai du mal à me diriger au milieu de ce tumulte. Les sardiniers sont là débarquant leur cargaison et je parviens à négocier une caisse de sardines encore vivantes pour me diriger vers le bateau à peine visible au milieu des palangriers bardés de bidons et de bouées colorées . Le temps calme de la nuit a permis une belle pêche et le sourire est aux lèvres des marins . Des centaines de caisses sont débarquées puis empilées sur le quai dans l’attente du mareyeur qui peine à se frayer un chemin avec son petit Berliet transformé en camion frigorifique . Ici point d’anneau , de prise électrique ,ni d’eau courante les bateaux des quelques plaisanciers sont adossés aux bateaux de pêche et sortir de sa place est une épreuve de force . Finalement j’arrive à extirper ma petite embarcation de cet amas de bateaux et à me diriger lentement vers la passe , j’en profite aussitôt pour commencer à ranger le matériel car la place n’est pas bien grande à bord . A la sortie du port des cargos sont en attente et je me sens minuscule devant ces géants à l’arrêt , doucement le vieux Yam prends ses tours et parvient à déjauger la coque la soulageant comme par enchantement pour la faire planer sur un véritable miroir . Le cap sur la gauche est franchi , je quitte la baie et le large est devant moi La mer change alors m’offrant encore une houle longue , reste du Mistral des derniers jours . Le compas me donne la route à suivre alors que la brume matinale me fait rapidement perdre de vue la cote , le soleil finit par percer l’horizon et fait scintiller la mer de milliers d’éclats , le bateau trempé par la rosée retrouve ses couleurs , la houle s’apaise et la mer s’étale devant à l’infini . Quelques poissons volants surgissent de temps à autre comme pour faire la course avec le bateau , les milles défilent … Ici les sorties au large sont rares , le mauvais temps , la vétusté des bateaux et le coût d’une telle sortie fait réfléchir . Deux heures se sont écoulées lorsque je commence à ralentir , j’allume le sondeur et je jette un coup d’œil autour de moi afin de m’assurer d’être seul puis je poursuis lentement ma route . Le vieil écran terni par le temps clignote avant de dévoiler le fond , très plat au début il s’infléchit rapidement pour se stabiliser par 120 mètres , la recherche commence . Ce lieu est ignoré de la plupart des pecheurs , la roche est rare mais lorsqu’on la découvre c’est toujours une merveille ou tous les espoirs sont permis . De longues minutes s’écoulent sans qu’aucune variation du fond apparaisse , puis la roche surgit comme par magie , une remontée extraordinaire perce l’écran sur plus de 30 voir 40 mètres telle une cathédrale qui émerge du ciel , dentelée et auréolée d’une multitude de poissons . Je sors de mon panier d’osier ma précieuse palangrotte , pas de moulinet ni de canne , seul un vieux liège noirci par le temps ,usé par des années de pêche sur lequel est enroulée un beau fil bleu en 160 . La monture choisie est contrôlée avec soin , je récupère ensuite un plomb dans un petit seau en le soupesant 4 ou 500 grammes suffiront en l’absence de courant . Quelques sardines étalées sur une planchette commencent à parsemer le bateau de leurs écailles , une , deux , trois …..cinq sardines sont enfilées sur un gros Mustad . Le regard fixé sur le sondeur et sur le traceur, je reviens tout doucement sur le poste . Arrivé à l’aplomb de la roche je plonge délicatement ma monture dans l’eau et laisse filer entre mes doigts la ligne. Pas une ride , l’eau d’une grande clarté me permet de suivre le chapelet de sardines qui égrènent des nuages d’écailles puis plus rien le grand bleu et l’attente . J’essaie de me caler doucement au moteur à la verticale jusqu’à ce que le fil s’arrête, une reprise en main franche permet de sonder le fond , quelques secondes s’écoulent et c’est le départ brutal qui me cloue littéralement sur le plat bord . La force du poisson est énorme et j’ai juste le temps de faire un tour mort sur le taquet proche afin de le contrer . Le fil tenu à deux mains , le doigtier en cuir lacéré par le nylon en tension , je suis effaré par tant de puissance . Doucement je libère le fil pour reprendre la main , manifestement je l’ai empêché d’aller à trou ou contre la roche mais il est cloué au fond . Les muscles tétanisés j’essaie de tirer mais rien à faire , je le sens forcer cherchant son salut vers le fond à grand coup de tête . Des minutes interminables passent pendant lesquels je partage la douleur de ce combattant sans lâcher prise . L’effort que je délivre est devenu insupportable et au risque de le perdre je laisse ma ligne prendre appui sur le plat bord afin de reprendre des forces . A genoux , exténué j’essaie d’imaginer mon adversaire luttant lui aussi à l’autre bout avec la peur qui doucement commence à le gagner . Finalement ces coups de tête s’espacent et je parviens à le gagner mètre après mètre , sa force diminue doucement au cours de la remontée puis plus rien pour venir crever la surface dans une magnifique gerbe à plus de 30 mètres du bateau . Epuisé , il flotte à présent et je le ramène fébrilement , les mains tremblantes vers moi . Je découvre alors un grand mérou dont la robe d’un marron pale contraste avec les individus bien plus jeunes , ses épines dorsales également sont abimées et confirment la vieillesse de ce poisson . 30 peut être 40 ans pour une cinquantaine de kilos environ il s’agit là d’un poisson exceptionnel . Il bouge très peu et la décompression rapide lui a fait perdre rapidement sa force , je parviens à le hisser avec difficulté et sa chute lourde dans le bateau se fait dans un bruit assourdissant .
Exténué , assis près de lui , le temps s’arrête et je reste là à le contempler. Ma main posée sur son corps , je le caresse comme pour le remercier et me faire pardonner de lui avoir oté la vie . L’envie de pêcher a disparu et j’ai une étrange impression comme si je venais de profaner un lieu sacré et je décide de rentrer .
Lentement je reprends la route du retour mais mon esprit est ailleurs je n’arrive pas à quitter des yeux ce noble combattant et j’essaie d’imaginer sa vie en ce lieu encore vierge , véritable oasis perdu au milieu de nul part et ou il régna en grand seigneur . »
Magique, tu as bien raison de garder le lieu secret. Quel bonheur de savoir qu'il existe encore de tels endroits et de tels poissons. . . Je comprends ton sentiment partagé, un tel animal mérite le respect.
Ha lalala !!! papa Mehdi a trouvé la un concurrent à sa prose et c est tant mieux car à vous deux nous allons nous régaler à vous lire. Suis certain que papa mehdi n a pas dit son dernier mot... Quand à la pêche ... respect mon ami ... un poisson de cette taille pris à la palangrotte et remonté à la force des bras ... Chapeau !!!
Enregistré le: Mar Avr 01, 2008, 21:01 Messages: 13001 Localisation: EST
chapeau yo le poids des mots et le choc des photos..dixit paris match ..en plus de ce beau texte je savoure la joie de t avoir....enfin ..decide a sortir de ton mutisme pour la grande joie des hotes de ce forum..merci d avoir repondu et ...de quelle maniere un vieux yam...une felouka..du nylon..500 gr de plomb..et voila le travail la decouverte de lieux de peche..de roches perdues et ignorees ...dans les abysses... une pincee de courage pour filer au large..beaucoup de passion et de tenacite..un chouia d experience..et au bout du rouleau un sacre solitaire des fonds qui termine sa vie sur le fond d une barque apres avoir livre le dernier combat d une existence....et ce.pour qques sardines ironie du sort en fin de compte on peut avec rien ...sinon le plus elementaire des outils..une simple palangrotte..se farcir la prise de sa vie..et le combat de reve....et cela me rappelle les 2 vieux de mon port qui remontent un fabuleux thon.. ..a la main.sur du simple cordeau pour filet...et ca ..il faut le faire aussi:!: ...et un merou de cette trempe c est juste...MONUMENTAL
ton report est magnifique tout simplement belle histoire qui termine par l'un des très joli coup de ta vie. qui reste graver dans ton sacre historique merci yo
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