Il y a des moments de la vie qui restent gravés dans la mémoire. L’émotion est tellement forte que tous tes sens s’aiguisent pour capter le moindre geste, le moindre souffle, la moindre étreinte. S’agit-il d’une histoire d’amour ?........ Mon dieu !!!!!!........ Comment ne pourrait-elle pas l’être…….. Comme vous le savez bien, chez nous c’est le ramadan, un mois de piété où l’on se retient de quelques nécessités de la vie pour mieux se concentrer sur les bonnes œuvres qui te mettent dans cet état de béatitude et qui t’éloignent du royaume de la terre. Et c’est justement très loin, trop loin même de la terre, aussi loin que le moindre soupçon de relief ne viens perturber la linéarité de l’horizon et plus précisément à 23 miles nautique de la cote que ce jours là, j’ai retrouvé cette béatitude. Ce jour là je suis tombé dans cet état d’extase que vous tous avez ressenti et c’est ce jour là,….. Messieurs, …… que je suis tombé amoureux. Une semaine auparavant mon ami Filali m’appelle au téléphone : « Salut chef alors qu’est ce que tu deviens ? Tu ne donnes plus de tes nouvelles » « Ah tu sais la vie et ses tracas, en plus c’est le ramadan on est tout le temps occupé » « Bon écoute, le moment est opportun il faut qu’on fasse une sortie » « Oui d’accord mais t’as vu la météo, hier d’ailleurs malgré la houle on a improvisé une sortie sur un pneumatique et je te dis pas j’ai dégueulé comme un bourré.. » « D’accord on attend que la mer se calme un peu mais le temps passe et on risque de ne plus rien prendre. Il faut qu’on sorte, il faut absolument qu’on sorte le weekend prochain. La bête n’attendra pas…..» La bête n’attendra pas…… La bête n’attendra pas…. Cette phrase résonna dans ma tête pendant toute la semaine. C’était sans compter avec ce qui va arriver. Le weekend, je reçois un message de chez Filali pour annuler la sortie. Du coup tout s’évanouie, mes espoirs se sont dissipés et les vibrations qui m’ont habitées ces derniers jours laissèrent place au terrible stress de la ville de Casablanca. Mais rien n’est perdu. Deux coups de téléphones, il fera beau le weekend prochain et un autre programme de pêche est fixé pour le dimanche sur la ville de Rabat. Tout est préparé : le matos, l’appât, l’amorce, la bouffe (non pas de bouffe c’est toujours le ramadan), enfin le bagage habituel. Tout était écrit quand, le samedi, en fin d’après midi le téléphone sonne. C’était Filali. « Allô Omar, c’est demain ou jamais. Tu te rabats et tu préviens les autres» Difficile, on est pris à cours, mais la tentation est tellement forte. Finalement, moi je cède mais notre ami Chawki ne sera pas de la partie. Le destin était toujours écrit mais bel et bien d’une toute autre manière. Dimanche matin tout le monde se retrouve à 7h (c’est un peu tard je sais mais la journée du jeûne est longue et il faut gérer le temps pour qu’on puisse rentrer juste avant la rupture), on prend notre temps pour mettre en place le matériel. Cinq cannes sont placées: deux 80lb et trois 50lb. Les leurres sont préparés pour être accrochés au moment opportun. Tout était prêt, tout le monde est là (Filali, Lahlou, Karim, Hatim le mécano et moi). Filali tourne les diesels, les réchauffe et entame la manœuvre. Quinze minutes après, dès que la jetée est dépassée, les moteurs, à plein régimes, propulsèrent le NATAYS à toute allure cap 340. Une décision prise par Lahlou (car le plus ancien) mais critiquée par Filali qui voulait suivre le cap 30. On saura plus tard que, ce dernier, n’avait pas tort. L’objectif était d’atteindre les 23 miles nautiques puis de changer le cap vers l’Est et de ratisser en zigzag un chenal entre les 20 et 23 miles. C’est là où les eaux sont les plus chaudes et c’est bien là où la bête rode.
Episode II : Il faisait beau ce matin de dimanche. La mer était calme et le ciel légèrement grisâtre (faire beau chez nous n’est pas toujours synonyme de ciel bleu et de soleil brillant). Le soleil apparaissait de temps à autre et ses rayons traversaient les nébuleuses pour venir se réfléchir sur la surface de l’eau et réchauffer ainsi l’ambiance générale. A 14 miles la mer commença à bouillonner. Ça grouillait de partout, des hordes entières de bonites. « Marque le point » lança Filali à Karim qui tenait la barre « en en fera quelques unes au chemin de retour ». A 10 heures nous atteignons les 18 miles, les leurres sont mis à l’eau et une progression plus lente commence. Le NATAYS se met désormais à l’allure de la traque, il file de 6 à 7 nœuds. Le pilote automatique est en panne, on se relais donc à la barre et le temps commence à s’écouler. 1 heures, 2 heures et rien. Rien à l’horizon aucune chasse, aucun remous. De temps à autres des sternes viennent en couples survoler nos leurres et raviver chez nous l’espoir d’une autre visite plus convoitée, plus désirée, plus spectaculaire. Après 2 heures de traine, l’ambiance est morose. « Ce n’est pas normal » lance Filali, « ce n’est pas possible, le poisson est certainement ailleurs, on n’est pas au bon endroit. » les nerfs commencent à se chauffer. Depuis notre départ la radio reste silencieuse, aucune nouvelle de prise ne vient nous remettre en confiance. Partout c’est pareil le silence règne et c’est le moment où il faut être le plus patient. Soudain un cri de Filali nous réveille tous « Il est là, wallah il est là je viens de le voir passer » Tout le monde commence à scruter les remous des hélices mais rien n’apparait. Après 10 minutes on a commencé à douter de l’acuité de notre cher ami quand soudain, comme un éclair, une nageoire vient d’apparaitre transperçant les vagues et passant d’un leurre à autre. Jamais je n’ai vu quelque chose de plus rapide, c’était foudroyant. Tout le monde se met en place en attendant le moment fatidique quand soudain un autre aileron apparait. « Ils sont deux ils sont deux. » Purée ! Quelle émotion. A bord l’espoir grandi et l’excitation est au summum. Tout le monde est aux aguets, mais comment pouvoir suivre les deux, leurs mouvement sont si rapides, impossible de se concentrer. On ne pouvait suivre la scène, on la subissait. Au bout de quelques secondes et aussi promptement qu’elles sont apparues les deux nageoires disparaissent dans l’eau. Les bêtes ne sont parties sans même pas effleurer un leurre. Dans le versant de la vague j’ai pu distinguer l’ombre de l’une d’elle qui disparaissait dans le bleu des fonds. « Ils ne sont pas mordants » crie Filali. « La vache» Le silence se réinstalle à bord. Filali amorce un demi-tour. Au bout de 5 minutes le scénario se reproduit. Pareil, de la même manière, on aurait dit une reprise vidéo si ce n’était cette fois, ce magnifique son de moulinet qui chanta sa douleur.
Episode III : La bête a mordue, elle emporte le leurre avec elle et on ne voie plus rien. Du fond de la cale, Lahlou qui se reposait un peu, sauta comme un éclair sur la canne et devança tout le monde. C’était en plus sa canne personne n’aurait osé la toucher. FZZZZZZZZZZZZZ ……. eeeet plus rien. Premier décroché. « Banane ! Je t’avais dis de bien aiguiser tes hameçons » lança Filali en claquant les mains. Entre eux c’est toujours comme ça, c’est qu’ils sont copains depuis très longtemps. On était tous sur l’arrière du bateau dans un air hébété encore sous l’effet du spectacle, quand soudain un son retenti. Non ce n’est ce que vous croyez mais pire. C’était une voix qui provenait de l’avant du bateau. C’était un message bref et concis mais qui a fait l’effet d’une bombe. « Allo allo . .. put… ça n’arrête pas on est à 15 attaques ça arrive de partout» et ….. plus rien. Karim qui c’est précipité sur la radio arrive en retard pour répondre. « Mais c’était qui ? ….bon sang c’était qui ?…. » S’écria Filali « où est ce qu’ils sont ?…… mon dieu ce n’est pas possible, ils plaisantent ou quoi ? » Filali prend la radio et commence à appeler tous le monde : Sandoria , spectra , cobra .. et je ne sais qui d’autre. Personne ne confirme et beaucoup ne répondent pas. Une ambiance de doute commence à planer sur l’équipage. Aurions-nous raté notre sortie : fallait-il prendre le cap 30 ? Fallait-il mouiller ces leurres au mile 14 ? … Trop de questions qu’il ne faut jamais se poser quand on a déjà pris une décision mais que notre esprit ne cesse de remettre sur table histoire de nous torturer. Ha ! Combien l’homme est compliqué, la bête elle ne se pose jamais de question. Elle est simple, elle est pure, elle est vraie. Deux visites, une attaque et un malheureux décroché, il faut dire qu’après tout, il y’avait de quoi faire renaitre l’espoir. « Allez les gars ! Il faut tenir bon ». Filali décida de retenter notre chance mais cette fois ci un peu plus au sud. Lahlou annonça à la radio notre nouveau cap, tourna la barre et le soleil commença à éclairer l’autre face du NATAYS. D’autres bateaux se joignirent à nous et ensemble entamèrent un défilé pluriel. Une demi heure après l’un des bateaux se mis en volte face et commença à rebrousser chemin. De loin on distinguait que tout le monde à bord étaient à l’arrière du bateau regardant tous dans la même direction. Moi qui porte des lunettes et dont la vision me fait parfois défaut, je ne cessais de demander aux autres « Ils ont une touche ? N’est ce pas ? Ils sont à l’arrêt ? Est ce qu’ils sont entrain de pomper ? ». J’insistais tellement que tout le monde pour me faire plaisir portait loin son regard pour tenter de me répondre sauf lui, Karim, qui plus avisé que nous tous gardait toujours l’œil sur les leurres. Et mon dieu il n’avait pas tort. Son cri nous a tous détourné de notre stupide enquête. Et ô combien le spectacle valait ce détour. Jamais je ne me serais pardonné d’avoir raté ça. La bête était là ! « Garde le cap, garde le cap, ça viens, ça viens.. » lança Karim. L’attente ne sera pas longue. En un clin d’œil, une flèche argenté fondit les remous de travers et s’abattit sur l’un des leurres. Le frein du moulinet se déclenche et s’arrête, premier coup « quoi qu’est ce qui arrive ?», un autre retenti et s’arrête net « quoi c’est quoi ce truc ?» . Je m’attendais à tout, absolument tout sauf à ce qui va arriver. Du milieu de ce tumulte écumeux surgit soudain une créature fantastique. Gémissante, elle volait dans les airs la gueule grande ouverte la queue battante, brandissant très haut son rostre tel un mousquetaire qui secoue son fleuret, qui se met en garde et qui annonce un duel fatal. Ô mon dieu qu’est ce que c’était beau ! Jamais je n’ai rien vu d’aussi magnifique ! Jamais. L’eau jaillissais tout autour de la bête et telles des larmes de douleurs, les gouttes salées de l’océan luisaient comme des perles. Rien ne m’aurait séparé de cet instant, de ce spectacle si ce n’était cette loi de la nature qu’on appelle la gravité. La bête replongea dans l’eau, emportant avec elle le leurre et la ligne. Le moulinet crache ses tripes à n’en pas en finir. Les mètres de ligne se déroulent. Karim qui était le plus proche saute sur la canne et se met en position. Moi qui ne savait quoi faire sauta à mon tour sur mon appareil photo et dans la panique coinça le clapet : NNNNonnn pas aujourd’hui pas maintenant. Je retente. Purée rien à faire. Pas la peine d’insister. Je dois faire autre chose. Avec Hatim et Lahlou, nous commençâmes à remonter les autres lignes. Une, deux, trois et le boudin, la quatrième sera malheureusement omise et gênera plus tard Karim. La ligne court toujours. Elle on a pris combien ? Difficile à dire avec certitude. Seul indice un saut majestueux que la bête dessina dans l’arrière plan à presque 200 m de nous. A ce moment précis karim bloque la course et impose sa volonté. Le combat commence rude et musclé. Karim pompe et bloque. La bête tire et relâche. La tension grandi on cris de partout au skippeur « arrière… ralentis… nooonnn ….ouiiiii…c’est ça encore put.. Arrête….» (qu’est ce qu’il en a pris ce jour là : à mon gout il y avait trop de monde et un air de panique s’installa). Karim mena la dance et imposa si bien son rythme qu’au bout de 10 mn de combat la bête pointa du nez sur la plage du Natays. On ouvrit la portière pour hisser la bête à l’intérieur du bateau mais le sang court toujours dans ses veines et la bête n’a rien perdu de sa vigueur. Ce jour, elle a décidé de mener le combat jusqu’à la fin. Un autre round s’engagea sur la plage du bateau. Brusque et silencieux, féroce et implacable. La bête se débat frénétiquement, son rostre s’agite dans tous les sens et fini par écorcher le pied de notre Filali. Ce ne sera pas le seul dommage. Dans l’agitation générale, la bête se courbe et crève l’œil dans le crochet de la potence. Au bout d’un moment essoufflés et haletants, nous arrivâmes tant bien que mal à la remonter. C’est fini ! La bête est là, belle, magnifique mais agonisante. L’œil crevé le sang éjacule et remplis tout le parterre par-dessus bord. Le spectacle est d’une toute autre nature : c’est cruel ; c’est funeste. Une fois les esprits retrouvés, nous replaçâmes les cannes et retrouvâmes notre cap. Après cet épisode plus rien ne m’importait, même pas la visite de cet autre marlin et même pas les 3 bonites qu’on a pris au chemin du retour. C’était l’un des plus beaux jours de ma vie plein de suspense et de rebondissements. Faute d’avoir pris des vidéos parlantes, je voulais partager ça avec vous d’une autre manière. J’espère que j’ai pu vous communiquer toute mon émotion et tous mes sentiments. Pour Filali la sortie n’était pas réussie, surtout quand il a su que la Sandoria, qui avait pris le cap 30, a effectivement subi 15 attaques et pris 5 marlins. Pour moi c’était la naissance d’une nouvelle passion, d’un nouvel amour.
_________________ "Il avait choisi de rester dans les eaux profondes loin des hameçons, et puis voilà que moi j’ai choisi d’allez le chercher tout là-bas dans le fond. Maintenant lui et moi on est uni, accroché ensemble et personne ne peut nous aider, ni lui, ni moi." Hemingway
Modifié en dernier par Obarchi le Ven Sep 18, 2009, 11:50, modifié 2 fois.
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